ÉCOUTER L'INTERVIEW
Premier podcast de Slate.fr, Transfert est l’un des podcasts les plus écoutés en France, totalisant 1 million d’écoutes par mois. Chaque épisode donne la parole à une personne ordinaire venue raconter une histoire extraordinaire, la sienne. On a profité de la venue de son équipe au Brussels Podcast Festival pour poser nos questions à sa productrice éditoriale, Sarah Koskievic.
Arrivée en mars 2020 sur Transfert (lors du passage du podcast de Louie Media à Slate.fr), Sarah Koskievic est en charge de la production éditoriale. Cela veut d’abord dire que c’est elle qui réceptionne tous les témoignages qui aterrissent dans la boite mail du podcast. Après une pré-sélection elle choisit avec ses acolytes Christophe Carron et Benjamin Saeptem Hours les “bonnes histoires”, celles que les auditeurices finiront par écouter.
Sarah Koskievic accompagne aussi les journalistes (ils sont une quinzaine à travailler pour Transfert) dans la rédaction des scripts et dans leur travail journalistique auprès des témoignant·es. Elle intervient dans la post-prod, “pour rendre au monteur un objet éditorial carré”, et écrit avec Christophe et Benjamin les titres et intros des épisodes. Transfert étant l’un des premiers podcasts que j’ai écouté (et que j’écoute d’ailleurs toujours), j’avais forcément mille questions à lui poser.
Avant de travailler sur Transfert, étiez-vous une fervente auditrice du podcast ?
Oui. J’aimais beaucoup Transfert et le travail fait dessus. En prenant mon poste, j’ai juste décidé de modifier un peu la ligne éditoriale.
Vous l’avez modifiée comment ?
J’aime entendre “la voix des méchants”, c-à-d la voix des gens qu’on ne veut pas entendre. Dans les podcasts, on entend souvent des femmes parler de leurs conjoints qui les trompent. Moi, ça m’intéresse d’avoir le conjoint. J’ai envie de comprendre les mécaniques. Les gens qui n’ont pas beaucoup d’empathie, ça m’intéresse. Les humains ne sont pas très gentils, et je ne veux pas dépeindre un monde qui me semble être faux. J’ai très vite proposé ce type de modifications, et ça a été accepté sans problème. Ça ne m’empêche pas de diffuser des histoires qui font du bien, mais une fois de temps en temps, j’aime piquer là où ça fait mal.
D’où viennent les témoignages qu’on entend dans Transfert ?
Je reçois entre 25 et 30 témoignages par semaine. Parmi ces 30 histoires, il y a un tout petit pourcentage de propositions faites par nos journalistes, et un très gros pourcentage de témoignages spontanés. Parfois, ce sont des documents Word de plusieurs pages ou des audios de 45 minutes. Au bout de deux ans, j’ai mis un petit cadre et j’ai dit aux gens que 34 pages, c’est trop. Souvent, on ne retient pas ce type de témoignages, car ce sont des gens qui veulent juste s’épancher ou être lu.
Je lis tous les mails. Soit je trouve que c’est une super histoire et je réponds dans la foulée. Soit c’est une super histoire, mais pour l’une ou l’autre raison, j’y répond plus tard. Soit, c’est une super histoire, mais on a récemment diffusé un témoignage sur le même thème, donc on la diffusera dans huit mois. J’ai une cohérence éditoriale à respecter et on veille à ne pas mettre quatre histoires d’agression sexuelle d’affilée. Je répond toujours à tout le monde, dans des délais discutables (rires). Une fois que j’ai fait une pré-sélection, ça passe en conférence de rédaction.
Qu’est-ce qui peut vous amener à ne pas pré-sélectionner un témoignage ?
Je dis systématiquement non aux gens dont l’histoire s’est produite ou s’est achevée trois semaines avant (qui n’ont donc pas de recul) et aux gens qui disent dans le mail : “j’ai besoin d’en parler”, “je cherche quelqu’un qui m’écoute”, “ma psy m’a conseillé que”. Ça peut être l’histoire la plus ouf de la Terre, ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas une professionnelle de santé. Environ une bonne moitié des gens ont envie d’être écouté. Ce n’est pas de l’égocentrisme, c’est un truc d’analyse. D’ailleurs, ça m’arrive souvent de lire à la fin d’un mail : “Même si la réponse est négative, merci de m’avoir lu”. Je peux comprendre que quand tu traverses une histoire lourde, tu aies besoin d’en parler. Et si tu n’as pas d’amis, de famille ou les moyens de te payer un·e psy, Transfert est le bon endroit. Mais ce n’est pas notre démarche.
J’aime aussi “les histoires oignons”, c’est-à-dire que plus on avance, plus on découvre une histoire différente. Qu’est-ce qui fait une bonne histoire ? En fait, il n’y a pas de recette. C’est presque comme quand on rencontre quelqu’un. Il se passe un mini truc, je ne sais pas trop dire quoi.
Sarah Koskievic
Qu’est-ce qui, a contrario, fait une “super histoire” ?
Il faut que ça raconte quelque chose, qu’il y ait un minimum de matière pour qu’on puisse faire notre travail de journaliste et qu’il y ait une structure narrative, c’est-à-dire un milieu, un début et une fin. J’aime aussi “les histoires oignons”, c’est-à-dire que plus on avance, plus on découvre une histoire différente. Qu’est-ce qui fait une bonne histoire ? En fait, il n’y a pas de recette. C’est presque comme quand on rencontre quelqu’un. Il se passe un mini truc, je ne sais pas trop dire quoi.
C’est une question de feeling aussi ?
Oui, il y a beaucoup de feeling. Parfois, pour une raison tout à fait inexplicable, il y a un truc qui m’accroche et je sais que ça va être une bonne histoire. On est trois, donc soit j’essaie de convaincre les deux autres, soit ils ont le même feeling que moi. Dernièrement, les garçons ont voulu faire une histoire, et j’ai posé mon veto pour dire non. C’était une histoire qui concernait l’obstétrique, et je pense que mon avis comptait un tout petit peu plus sur ce sujet-là.
Pour quelles raisons avez-vous mis votre veto ?
C’était une jeune femme qui nous racontait qu’elle ne trouvait pas son bonheur auprès de la pilule, donc elle s’était fait installer un stérilet en cuivre. Son corps, et sa psychologie je pense aussi, ont rejeté le stérilet. Elle a décidé de l’enlever seule chez elle. Je suis d’accord de dire que ça raconte que les moyens de contraception ne sont pas reçus de la même façon chez toutes les femmes, que les gynécologues en France se permettent de privilégier une contraception plutôt qu’une autre, donc ça raconte ce qu’est le corps des femmes.
Par contre, je ne veux pas diffuser le témoignage d’une femme qui enlève son stérilet seule. Il ne lui est rien arrivé, mais même s’il y a une seule femme qui fait pareil et qui fait une septicémie, c’est sur nous en fait. C’est pas que l’histoire ne m’intéressait pas. Je pense qu’en travaillant bien, avec le·la bon·ne journaliste, le bon angle, ça raconte un vrai truc. Mais on ne peut pas dire n’importe quoi.
Surtout que vous êtes écoutés par plus d’un million d’auditeurs par mois. Il y a donc ce sentiment de responsabilité envers les auditeurices j’imagine ?
On essaie parfois de se détacher de l’auditorat pour se concentrer sur notre travail. Mais oui, la vérité, c’est qu’on a beaucoup d’auditeurs. On a fait un épisode sur une histoire de chasse. L’auditorat nous a reproché de porter la chasse aux nues. Je ne suis pas d’accord. Je ne veux pas qu’on s’interdise de parler de certaines choses. La chasse, en France, c’est un vrai sujet politique et social. Je suis pour donner la parole à tout le monde, de la même façon que Les pieds sur terre a fait un épisode sur les hommes violents.
Comment savoir si le ou la témoignant·e va bien raconter son histoire ?
C’est le but de la pré-interview. Si on tombe sur quelqu’un qui a de grandes difficultés à s’exprimer, malheureusement on ne va pas pouvoir garder son témoignage. Mais on a eu des exceptions, notamment une personne qui bégayait ou un jeune homme ayant subi une trachéotomie. En plus de la rédaction d’un script, le job des journalistes est aussi de briefer les témoins et de leur expliquer qu’il va falloir s’exprimer d’une certaine manière.
Une autre exception, c’est le témoignage de la personne qui a été maltraitée médicalement (Tout va bien se passer). On savait dès le début qu’elle avait des difficultés à s’exprimer. Pour avoir 24 bonnes minutes, on a fait 2h10 d’enregistrement. C’était un casse-tête, mais c’est un super épisode.
Quelles précautions sont prises avec les témoignant·es, en termes éthiques et légaux ?
On fait signer une autorisation de captation avec le droit d’utiliser la voix et l’histoire. On affine les angles avec le journaliste mais on est complètement clair avec la personne interviewée en studio. Forcément, vu que c’est lui/elle qui raconte, on ne peut pas non plus déformer son histoire et lui faire dire n’importe quoi.
Un·e témoignant·e a-t-il·elle le droit d’écouter “son” épisode avant sa diffusion ?
En tant que journaliste, on nous demande très souvent (que ce soit en podcast ou en presse écrite / web) d’écouter ou de lire l’histoire avant sa diffusion. Pour ma part, ça a toujours été non. Deux raisons pour ça. Sur Transfert, on finit souvent l’épisode l’avant-veille, donc on n’a pas le temps (rires). Deuxièmement, j’espère que les gens savent que je fais bien mon travail. Je ne vais pas chez la boulangère en lui demandant quelle levure elle va mettre dans ma baguette. J’entends bien qu’ils nous délivrent un récit intime, mais on le manipule avec toutes les précautions possibles. J’ai fait plus de 100 épisodes et les retours des témoignants que j’ai reçu c’est qu’on avait rendu leurs témoignages encore plus forts. C’est parce que je connais mon métier. À tous les niveaux de la chaîne de travail sur Transfert, on est tous journalistes, y compris Aurélie la monteuse. On est là pour rendre le récit le meilleur possible.
Quelles seraient alors les “bonnes” motivations pour raconter son histoire chez Transfert ?
Je ne sais pas trop. Récemment, on a eu quelqu’un qui nous a écrit : “L’histoire de ma tante est dingue, elle la raconterait bien”, en me détaillant l’histoire en quelques lignes. J’aime les histoires qui me font dire : “Ah ça, je ne l’ai jamais entendu”. C’est souvent les enfants ou les petits-enfants qui nous écrivent pour nous mettre en contact avec un parent ou un grand-parent. Les personnes seniors c’est toujours formidable, car ils n’avaient pas Internet, donc c’est toujours des histoires de lettres envoyées à travers le monde.
Y a-t-il des sujets qui reviennent souvent et n’avez-vous pas peur de tourner en rond ?
Oui, j’ai cette peur, mais actuellement, je suis encore surprise. On peut raconter la même thématique sans raconter la même histoire. Typiquement, les histoires de couple. Il y a autant de façons de raconter le couple que de couples. Et il y a autant d’histoires que de gens et que de manières de raconter. J’espère que je ne vais pas bientôt me dire : “Mais qu’est-ce qu’on fait éditorialement ?”. Ce sont néanmoins des questions que je me pose régulièrement.
Depuis votre arrivée, quel est pour vous l’épisode de Transfert le plus fort ?
Il y a l’épisode “L’histoire de la femme qui ne voulait pas d’enfant” auquel j’étais assez attachée sur papier. Lors de l’enregistrement, l’histoire est tellement folle, qu’on s’est retrouvé les quatre en pleurs dans le studio (la journaliste, la réalisatrice, la témoignante et moi). Ça m’a tellement émue que je ne peux pas ne pas penser à cet épisode. L’autre c’est “Une journée comme celle de la veille” qui à la réécoute est hyper difficile, mais hyper belle. C’est deux épisodes sur lesquels j’ai pris grand plaisir à travailler. J’ai été très affectée par ces deux histoires et je les réécoute assez souvent.
Si tu veux envoyer ton témoignage à Transfert, c’est ici: transfert@slate.fr