LA VOIX DANS TA TÊTE · Le mag du podcast

La Belgique, ou le triangle des Bermudes du podcast

La formule est choc, je vous l’accorde. Mais pour moi, elle résume parfaitement la réalité à laquelle je suis confrontée tous les jours depuis bientôt 6 ans. Depuis que la compagnie de théâtre de rue pour laquelle je travaille s’est transformée en compagnie de podcasts.

Rejoins-nous lors de la Journée du Podcast, pour discuter des enjeux et du futur du podcast en Belgique, le 20 mars au KIKK de Namur !

Je crois aux podcasts comme médium de création, de connexion, d’éducation, d’émancipation. Je crois au flux RSS comme un outil d’avenir. Je crois aux talents belges parce que nous sommes créatifs, passionnés, débrouillards avec une dose d’absurde et beaucoup d’humanité. C’est pourquoi, depuis bientôt six ans, comme la plupart des créateurs et créatrices de podcasts en Belgique et en FWB, je me bats pour que notre travail soit visibilisé… mais je suis bien obligée de constater que la Belgique est le “Triangle des Bermudes” du podcast en francophonie.

Pour comprendre pourquoi je dis ça, il faut que je commence par définir ce qu’est un podcast natif selon moi.

Contrairement aux idées reçues, un podcast ce n’est pas juste un fichier audio diffusé sur Internet. Le podcast est une technologie de diffusion : le flux RSS. Qu’on parle d’audio ou de vidéo, c’est le principe de diffusion qui compte (comme le nom l’indique : (i)Pod(Broad)cast).

Qu’est-ce que ça change me direz-vous ? Tout ! Vous viendrait-il à l’idée de créer un compte Instagram pour publier cinq photos et vous arrêter ? Non. Parce que vous savez qu’Instagram, c’est avant tout construire des communautés.

Bingo ! Un flux RSS, c’est comme un compte Insta avec ses logiques de création de communauté, d’influence et d’algorithme qui demandent de penser au public cible avant même de commencer à créer : celles et ceux qui choisiront d’appuyer sur play car votre promesse d’expérience les aura séduits.

Comme l’avait résumé un journaliste après m’avoir entendu définir le flux RSS et le podcast : “On pourrait dire que vous êtes des podstagrammer en fait”.

Oui ! On ne crée pas un podcast, on crée un flux.

Pas encore convaincu ?

Je continue. Comparer la radio et le podcast natif, c’est comme comparer la série et le cinéma. Vous pouvez tout à fait diffuser un film à la télé et une série au cinéma. Mais est-ce que c’est pensé pour ? Non. Et les logiques de diffusion impactent la conception même du contenu.

Bien sur, les règles sont faites pour être détournées. Comme le fait si bien le flux Injustices de Louie Media. Mais on ne peut les détourner que si on les connait.

Je ne cherche pas à m’éloigner de la création radiophonique, je cherche à identifier nos combats communs et nos différences pour qu’on se renforce et pas l’inverse. Parce qu’au bout du compte, les réalités quotidiennes d’un podcasteur sont plus proches de celles d’un YouTubeur que d’un créateur radio.

Maintenant que j’ai posé ma définition personnelle du podcast, parlons de ce fameux “Triangle” où viennent mourir les podcasts belges, même les meilleurs…

À ce jour, il y a plus de 3 millions de podcasts disponibles dans le monde. Autant vous dire que créer un flux, c’est lancer une goutte d’eau dans l’océan en croisant les doigts pour que quelqu’un la boive. Beaucoup d’énergie dépensée pour pas grand chose. Surtout quand les circonstances sont contre vous.

Des plateformes aveugles

Si nous sommes d’accord pour dire qu’un flux RSS n’a de sens que parce qu’il permet de créer une communauté d’abonné·es, alors il nous faut des outils pour créer cette communauté et émerger auprès du bon public sur les plateformes. À l’ère du capitalisme, on a rien inventé de mieux que la publicité et les contenus sponsorisés. Une fonctionnalité offerte par Spotify en France et au Pays-Bas, mais pas en Belgique… Malgré nos échanges directs avec les équipes de Spotify, nous n’avons, à ce jour, aucune explication, ni promesse d’évolution.

Je ne m’attarderai pas sur la question – cruciale – des rémunérations que nous partageons avec nos voisins français. Pourquoi ? Parce que pour envisager des rémunérations, faut-il déjà parvenir à construire des audiences, des communautés. C’est le serpent qui se mord la queue.

(Je ne parlerai pas non plus de Spotify Kids qui n’est, lui non plus, pas accessible en Belgique).

Amazon Music pousse l’absurde encore plus loin. Chez lvdt.studio, tous nos podcasts sont disponibles sur la plateforme. Pourtant, Amazon Music ne les diffuse pas en Belgique… ni aucun autre podcast d’ailleurs. En 2022 je posais la question à la responsable de l’époque : quand les podcasts arriveront-ils en Belgique ? Force est de constater que, trois ans plus tard, ils ne sont toujours pas accessibles.

En Belgique aussi…

Mais il n‘y a pas qu’avec les multinationales que le secteur du podcast doit se battre. Sur notre territoire aussi, certaines négociations sectorielles doivent avoir lieu pour assurer la pérennisation de la création de flux digital, tant auprès des médias nationaux que des institutions publiques et des ministères.

Lors d’une de mes récentes rencontres, pour tenter de dégager des soutiens financiers afin de pérenniser les activités de Cast’Art Studio (l’ASBL qui finance entièrement lvdt.audio, mais aussi des accompagnements de porteurs de projets, des ateliers scolaires, etc.) on m’a répondu qu’une structure d’aide à la création radiophonique était déjà soutenue à Bruxelles et que soutenir une deuxième structure en Wallonie pourrait être interprété comme du saupoudrage de ressources publiques. Il me semble pourtant qu’il existe une différence entre monopole et saupoudrage. Sans parler des différences inhérentes entre la radio et le podcast natif qui demandent des approches et un encadrement spécifiques.

Pourquoi je raconte tout ça ?

Dans notre plat pays, nous avons de grands talents, mais aussi une grande expertise. Nous sommes un écosystème vivant, battant, mais aussi fragile et qui cherche encore à se définir. J’ai passé ces derniers mois à discuter avec beaucoup d’interlocuteurs et d’interlocutrices de la création radio et du podcast. C’était toujours passionné et passionnant. C’était toujours une recherche de mots et de sens. Et chacune de ces conversations éclairait un peu plus le chemin devant nous.

Le podcast dans le monde est une industrie audiovisuelle de plusieurs milliards d’euros. Le podcast en Belgique, c’est un écosystème, pas une industrie. Pour combler le vide entre ces deux phrases, je ne vois qu’une seule voie : se fédérer.

Je suis convaincue que si nous voulons continuer à exister et créer, nous devons nous réunir. Identifier nos combats commun avec les acteurices de la radio, avec les YouTubeurs et YouTubeuses, et aussi avec nos homologues internationaux.

C’est pour toutes ces raisons que lvdt.audio travaille avec le KIKK pour organiser une première journée à destination des podcasteurs et des podcastrices.

Je ne sais pas ce que sera la suite. Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir. Mais je sais que sans provoquer notre rencontre autour de la question d’une fédération, nous continuerons à survivre, pas à exister.

Dans cette carte blanche, je n’ai fait que survoler ces questions complexes et beaucoup d’autres enjeux méritent qu’on s’y attarde. C’est pourquoi je vous invite personnellement à nous rejoindre le 20 mars au TRAKK de Namur pour continuer cette discussion ensemble.

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