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“La Réu’ d’Écran Large” : le quatrième mur a des oreilles

Est-il encore possible de se démarquer en tant que podcast cinéma ? Entre la désinvolture d’un 2 heures de perdues et l’analyse pointue de La gêne occasionnée, l’offre semble parfois saturée et le spectre entièrement couvert. Et puis, en février 2023, la bande du site Écran Large débarque avec un concept redoutable, jouant sur la présence d’un quatrième mur.

Au théâtre, le “quatrième mur” désigne la paroi imaginaire qui séparerait le public des comédien·nes, qui interprètent une histoire sans s’adresser aux personnes qui les contemplent, ni avoir conscience de leur présence. En fiction, il est devenu classique de bafouer cette règle pour développer un propos “méta” : le regard caméra au cinéma, popularisé par la Nouvelle Vague, la narratrice d’un roman qui interpelle le lecteur, ou même le super-héros « Imbattable » naviguant d’une case de BD à l’autre. Le bris de la sainte cloison est devenu un poncif, au point que la saga Deadpool, par exemple, fonde entièrement son humour sur ce procédé.

Tu te demandes sûrement pourquoi je déblatère toute cette théorie. D’autant plus qu’en podcast, on dialogue d’emblée avec les auditeurices : on les salue, pose le contexte puis déroule le programme. Dans les émissions consacrées au cinéma, pas de mystère : l’équipe de chroniqueurs·euses reproduit le schéma classique de la critique, identique depuis les années 1950. On résume l’histoire, on donne son avis, on gratifie les œuvres de petites étoiles en guise de notes. Et hop, film suivant. Et si se démarquer consistait justement à réinstaurer le quatrième mur dans un podcast, là où on n’a aucunement l’habitude de s’y heurter ?

Mur et murmures

Voilà l’idée ingénieuse de La Réu’, lancé en 2023 par les journalistes du site Écran Large, tout à fait recommandable mais jusque là plutôt orthodoxe. Comme le nom le suggère, chaque épisode te plonge dans l’intimité d’une séance de réunion. Rien de pénible ici : ces périodes de travail fonctionnent tels de joyeux brainstorming foutraques. En prétextant la quête de pistes d’articles à rédiger pour leur média, Antoine, Déborah, Geoffrey ou encore Judith, chacun·e pourvus·es de leurs obsessions cinématographiques serties de mauvaise foi, débattent de « qui c’est que c’est » le plus fort entre Robocop et les Transformers, élisent le pire film Marvel ou s’évertuent à défendre Shaolin Soccer.

Pas de bonjour ou d’introduction : tu débarques en plein milieu des discussions. À la façon des entrevues les moins productives (celles lors desquelles tu essaies de bosser avec tes potes – “non là allez, franchement, on s’y met !”), la structure se veut en roue libre, tributaire des anecdotes marrantes. À la merci d’une surenchère de la vanne et souvent décorrélée de l’actu culturelle, chaque diffusion hebdomadaire réserve son lot d’envolées joviales, exactement comme si on épiait une bande de potes à son insu. Car La Réu’ pousse son concept au point de se terminer en plein milieu d’un échange, parce que “l’heure tourne”, ou de révéler au micro les complaintes d’une critique ciné sur le web (je suis dégoûtée, mon article n’a même pas atteint les 10.000 vues alors que je me suis retapée dix films pour l’écrire…). Écouter aux portes (?) du quatrième mur se révèle instructif.

Conciliabule geek

L’autre atout de La Réu’ réside dans les choix des sujets. Planqués derrière la cloison fantasmée, affranchis du regard jugeant des cinéphiles puristes, ces fans de pop culture parlent bien de ce qu’ils veulent, et tant mieux si ça sonne débile. Trois heures à s’échanger leurs recommandations de films de dinosaures ? Banco. Une émission entière pour se moquer de Vin Diesel ? Pourquoi pas. Si les journalistes improvisent quelques analyses au fil de l’eau, on a ici affaire à l’antithèse du séculaire Masque et la Plume de France Inter, qui, du haut de ses 1.000 (!) épisodes, prône l’évaluation distanciée, à froid. Écran Large ne se prend pas au sérieux. Sa team ose parler de cinéma pop-corn. Ça fait du bien.

Reste à signaler un bémol pour clore cette critique des critiques. Depuis son lancement en février dernier, le concept fort de La Réu’ n’a malheureusement pas toujours été maintenu, et le quatrième mur si percutant s’est un peu lézardé. Une poignée d’épisodes plus courts ont été réalisés… en solo ! L’autopsie du flop de Dany Boon ou le fact-checking de Sauvez Willy : ces thèmes alléchants déçoivent quand on se rend compte en les lançant qu’il s’agit juste de monologues, dont on ressent fatalement trop l’écriture. Le répondant des collègues manque cruellement à ces soliloques. Plutôt que d’écouter ces articles déguisés, autant se rabattre sur l’excellente chaîne YouTube d’Écran Large. Ces contenus rédigés à l’avance déploient souvent un propos fascinant. Mais la forme qui les habille (un texte déclamé au micro ou à la caméra) paraît bien plus classique que l’enthousiasmant foutoir des Réu’. Quand on parle cinéma, rien ne vaut un débat enflammé entre quatre yeux… et quatre murs.

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