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”Oussama Le Magnifique” : la saga de la moula

À force d’avoir vu défiler tant d’arnaques promettant l’argent facile, on se méfie. Tu sais, les fameuses formations « Comment devenir riche en trois jours ? » qui pullulent sur internet. Le premier épisode d’Oussama Le Magnifique, un récit en 5 volets publié chez Nouvelles Écoutes, m’a donné l’amer sentiment de me soumettre à la logorrhée d’un bonimenteur du web. J’ai bien fait de persévérer.

On dit toujours des séries télé qu’il faut « rentrer dedans », leur « laisser une chance » en s’entêtant au-delà du pilote. Le conseil vaut aussi pour les podcasts narratifs. Oussama Le Magnifique raconte l’ascension fulgurante d’Oussama Ammar, un de ces légendaires self made man parti de rien pour devenir millionnaire grâce au tremplin rutilant de la « french tech ». Durant les premières minutes du documentaire, ce beau parleur prend beaucoup de place, au point d’écraser la voix de la journaliste économique Léa Lejeune, qui co-signe l’écriture avec Mathieu Palain. Harassante impression que son bagou me compresse les oreilles, comme si le récit ne prenait aucune distance avec l’homme dont il brosse le portrait. Spoiler : c’était fait exprès. Car il n’existait pas de meilleur processus pour caractériser cet escroc hypnotisant.

Argent et entregent

Je n’avais jamais entendu parler de ce Oussama Ammar. Et, en même temps, on connaît ce genre d’histoires par cœur : le gars autodidacte, qui coderait des sites web dès onze ans et fonderait sa première boîte à treize. Un moulin à punchlines, du style « j’ai embauché plus de 500 personnes et n’ai jamais rédigé ni consulté de CV », et dont le mantra récuse l’honnêteté : « fake it until you make it » (« fais semblant jusqu’à ce que tu réussisses »). Bref, tout l’esprit « start up nation » à la française. Personnellement, je vomis ce genre d’idéologie basée sur la gouaille. Ammar, lui, va en faire son cœur de métier.

L’incubateur The Family, d’abord, qui réunit des centaines d’entrepreneurs pour leur apporter « les piliers d’une famille : les avantages, l’éducation et l’accès au capital ». Loin de carburer à la fraternité, il s’agit surtout d’une usine à fric. Le service Better Call Ouss, ensuite, en référence au spin-off de Breaking Bad. Encore actif aujourd’hui, il propose de papoter 30 minutes avec ce pape de la tech pour seulement… 300 euros. Et ça marche : en moyenne, cinq pigeons raquent par jour. Comme tout gourou, Oussama a ses ouailles, qui l’idolâtrent malgré ses casseroles…

Éthique et tech

Au fil des épisodes, les journalistes font heureusement intervenir beaucoup d’autres sources. De proches collaborateurs·trices d’Ammar, comme Alice Zagury et Nicolas Colin. Mais aussi des observateurs·rices externes, qui tissent progressivement une déconstruction jubilatoire de la mascarade. On apprend que l’entrepreneur est surnommé « le Balkany de la tech » et aurait détourné plus de trois millions d’euros. Qu’il immatricule de nombreuses sociétés aux Îles Caïmans ou en Urugay. Qu’il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis par le tribunal de Nanterre en 2018. Toute la force du podcast réside dans la patience de sa narration.

Les dénonciations d’escroquerie, on connait : on en voit passer toutes les semaines dans la presse. Ici, Léa Lejeune se concentre sur les fondations humaines de l’arnaque. Bâtir la confiance avant de la briser requiert un long processus. Laisser autant palabrer Ammar permet de cadrer le personnage, pour ensuite mieux gratter son vernis apocryphe. Derrière le clinquant, la fraude.

Nicolas Colin, Alice Zagury et Oussama Ammar (de gauche à droite), fondateurs de The Family, dans les locaux de la société, à Paris, en 2015. © BRUNO LEVY/CHALLENGES-REA

Mythe mythomane

Il semble capital d’écouter et de promouvoir Oussama Le Magnifique. Pas uniquement parce que, comme souvent avec Nouvelles Écoutes, sa production se révèle léchée (remarquable ambiance sonore) et son rythme maitrisé. Il raisonne surtout comme une sonnette d’alarme. Car Ammar sévit toujours aujourd’hui. Il a lancé Sans Permission, une chaîne Youtube cofondée avec l’influenceur Yomi Denzel – sorte de radio libre durant laquelle les deux richards s’écoutent parler. On l’y voit posé sur un yacht, rabâchant sa soit-disante partie de poker avec un chef des Yakuzas au Japon, ou les deux semaines pendant lesquelles il aurait délibérément vécu comme un sans-abri. On jurerait contempler Serge le Mytho, en moins drôle.

Sur Linkedin, Instagram, Twitter, des centaines de milliers de followers recueillent ses conseils comme parole d’évangile. Frédéric Montagnon, un des business angel roulé par Ammar, s’étrangle : « Oussama enseigne une façon abjecte de faire de l’argent, en se foutant complètement des dégâts qu’il cause. Ça fait rêver les plus jeunes, qui l’écoutent et reproduisent par mimétisme ». Si le robinet doré de la french tech est de nos jours bouché, avec des investisseurs devenus plus rationnels, les rêves des entrepreneurs en herbe, eux, fleurissent encore. Et il semble urgent de tempérer leurs ardeurs ravageuses.

Oussama Le Magnifique est un podcast documentaire co-écrit par Léa Lejeune et Mathieu Palain pour le studio français Nouvelles Écoutes.

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