À Bruxelles, Bozar s’intéresse à la créativité exceptionnelle d’un couple d’artistes ayant marqué l’art moderne Hans/Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp. Dans un podcast en six épisodes, Safia Kessas, connue pour explorer les trajectoires de femmes évincées des narrations, invite à se rapprocher de Sophie, de sa singularité artistique, son génie pluridisciplinaire et à déconstruire le mythe de la « femme de ».
L’Aubette de Strasbourg, vous voyez ? C’est un peu la Chapelle Sixtine de l’art moderne et c’est en grande partie à Sophie Taeuber-Arp que nous la devons. D’emblée, Safia Kessas avoue tout : la journaliste, autrice et réalisatrice bien informée (Mondrian, Kandinsky, tout ça, elle connaît) n’avait jamais entendu parler de Sophie Taeuber-Arp avant la publication récente du fonds d’archives personnelles de l’artiste. C’est que son œuvre est restée longtemps moins connue que celle de son mari. Or elle a profondément marqué l’histoire de l’art du XXe siècle.
Dans ce podcast a priori destiné à celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’art, Safia Kessas parvient à captiver tous les publics grâce à une écriture enveloppante qui invite à plonger dans les contextes intime, politique et sociétal de Sophie Taeuber-Arp, cette artiste fascinante.
Pourquoi Sophie Taeuber-Arp est-elle restée dans l'ombre de l'histoire ?
Dès les premiers instants, la voix posée de la journaliste, accompagnée d’une bande-son subtile, pose le cadre : il s’agit avant tout de redonner à Sophie Taeuber-Arp la place qui lui revient dans l’Histoire. Et quelle place ! Professeure, danseuse, architecte d’intérieur, sculptrice, peintre… Les étiquettes se multiplient, mais ne suffisent pas à cerner toute l’étendue de son talent.
La série nous permet ainsi de saisir les paradoxes d’une artiste naviguant entre son émancipation et les pressions domestiques, une dualité explorée dans l’épisode sur la maison-atelier à Clamart. Sophie Taeuber-Arp y est dépeinte comme une figure tiraillée entre ses responsabilités de créatrice et celles de femme au foyer, à une époque où la place des femmes artistes était un combat de tous les instants.
À travers des témoignages d’experts, dont l’historienne Walburga Krupp, le podcast questionne la postérité de Sophie Taeuber-Arp. Pourquoi, malgré ses apports majeurs à l’art abstrait, a-t-elle été invisibilisée pendant des décennies ? Jean Arp, dévasté par la mort de sa femme, a tenté de la faire revivre à travers son propre travail, compilant un « catalogue raisonné » de ses œuvres. Michelle Perrot, autre intervenante clé du podcast, ne manque pas de rappeler l’ambiguïté d’un tel geste d’amour car il risque d’enfermer Sophie dans le regard de son époux.
Le point fort du podcast réside dans sa capacité à raconter un pan de l’Histoire tout en reliant l’intime et le politique. L’art de Sophie Taeuber-Arp est indissociable de son époque, du patriarcat, de la guerre ou de son regard critique sur la montée du fascisme. Safia Kessas fait résonner ce contexte historique avec justesse, nous offrant une Sophie… plus proche. Ses lettres, extraites avec soin, révèlent une femme pleine de vie et de doutes, mais toujours résolue à créer, malgré les tempêtes du siècle.
Sophie Taeuber-Arp est un podcast belge de Safia Kessas, co-produit par Bozar et IOTA.