Le secteur du podcast se consolide, en témoigne les acquisitions du trio de studios français pionniers par des grands groupes médias et studios internationaux. Un mauvais présage pour l’existence des petits studios indépendants ?
Début 2023, Binge Audio (célèbre pour ses podcasts Les Couilles sur la table et Kiffe ta Race) accueillait un nouvel actionnaire majoritaire : Paradiso media, studio international spécialisé dans la fiction et les adaptations audiovisuelles. C’est la dernière acquisition en date d’une longue rafale…
Quelques mois plus tôt, c’est Louie Media (Émotions) qui voyait près de la moitié de son capital racheté par CMI France, un groupe de médias détenu par un milliardaire tchèque. Encore un peu plus tôt, c’est Nouvelles Écoutes (Bouffons, Quoi de meuf ?, Quouïr) qui était racheté par le suédois PodX Group, un groupe développement de studios de podcast à l’ambition internationale.
Enfin, il y a un an, l’application d’écoute Majelan, connue pour ses livres audio et ses contenus de développement personnel, était rachetée par l’agence de presse française ETX Studio.
Consolider pour mieux régner
Tous ces grands noms du podcast français ont été acquis par des grands groupes médias à l’ambition internationale. Aucun ne semble échapper à cette vague de rachats qui suit la tendance étasunienne, amorcée quelques années auparavant. Le secteur du podcast poursuit sa consolidation, à l’instar des médias, continuellement rachetés par des groupes de presse toujours plus gourmands.
Cette réorganisation du secteur témoigne d’un marché en plein essor, mais signifie également la disparition d’un bon nombre de studios indépendants, qui fusionnent avec les groupes ou studios qui les rachètent. Pour beaucoup de studios, la consolidation est annonciatrice d’une indépendance dont les jours sont comptés.
Dans cette mouvance consolidatrice, la pandémie y est aussi pour quelque chose. La crise sanitaire devenue économique a frappé de plein fouet l’économie naissante du podcast : les recettes publicitaires ont baissé drastiquement, l’auditorat a explosé, de nouvelleaux créateur·es sont arrivé·es en masse, saturant le marché… Cette crise, tout comme l’inflation, a poussé le secteur du podcast, comme tant d’autres, à la consolidation.
L’arrivée des géants
Le boom de popularité du podcast a provoqué la création d’un tout nouveau secteur, plutôt florissant, sur lequel se sont jeté·es les publicitaires. Ensuite, les plateformes de diffusion ont mené une stratégie de développement agressive, dans une course effrénée pour alunir en premier à la place du leader mondial sonore – le signe d’un secteur de plus en plus attractif. Dès 2019, Spotify et Amazon investissaient en centaines de millions de dollars dans l’acquisition de plateformes concurrentes.
Auparavant plutôt horizontal et investi par de nombreux·ses petits studios et créateur·rices, le marché du podcast est rapidement devenu la proie des géants – publicitaires, plateformes de diffusion, entreprises, institutions, grands studios en quête de diversification, GAFAN… Sitôt devenue mainstream, c’est toute une industrie qui s’est construite autour de cet objet sonore, brassant des milliards chaque année. Ces géants, autour desquels gravite l’essentiel de l’activité économique, se partagent – ou s’arrachent – la part du lion des revenus, laissant leurs miettes aux créateur·rices sonores.
D’une niche aux masses
Si le podcast natif n’est arrivé que récemment sous le feu des projecteurs (et dans le viseur des GAFAN), ce média n’a rien de récent. Né au début des années 2000, mais resté durant une bonne quinzaine d’années dans l’ombre de la radio, il lui a soudainement volé la vedette, suscitant l’engouement général. Le podcast est à la radio ce que Youtube est à la télévision : un véritable tournant (générationnel).
En quelques années seulement, on lui déroule les tapis rouges de festivals (Longueur d’ondes, Paris et Brussels Podcast Festivals…) et remet des prix les plus prestigieux – le prix Pulitzer récompense maintenant les productions audios. Le podcast est devenu un incontournable : même Netflix propose à présent une formule audio de ses programmes.
Par son accessibilité d’écoute comme de création, nombre de personnes débarquent ainsi dans ce joyeux monde sonore et mettent la main à la pâte audio : journalistes, artistes, célébrités, amateur·rices… Les créateur·rice sonores sont chaque jour plus nombreux·ses. Celleux-ci peuvent compter sur un public qui ne cesse de grandir, pour le plus grand bonheur des annonceurs. En Belgique, nous sommes un tiers de Belges, et près de la moitié (47%) des jeunes (18-24 ans), à écouter des contenus audio.
Un modèle fragile
Si le public, comme le chiffre d’affaires du secteur, continue d’augmenter, le modèle économique du podcast peine à se stabiliser. Les studios de production sont pris en tenaille entre la publicité et un auditorat réticent à payer. La « culture du gratuit », émanant de la gratuité ambiante des contenus culturels et en ligne, est un réel frein à la rémunération des auteur·rices et producteur·rices.
Pour l’instant, le business model le plus prometteur et celui de la diversité des sources de revenus. La plupart des studios survivent d’un savant mélange alliant la publicité, des offres payantes, des produits ou événements dérivés et la production de podcasts pour des tiers (marques, entreprises, institutions…) C’est ce dernier qui rapport le plus aux studios.
La monétisation des productions sonores reste une affaire compliquée, notamment à cause de leurs relations avec les plateformes de diffusion. Les créateur·rices et studios entretiennent une relation ambigüe à ces plateformes : celleux-ci cherchent à être diffusés le plus possible, et donc déposent leur podcast sur les plateformes (Spotify, Deezer, Apple… qui comptabilisent plus de la moitié des écoutes) : c’est ce qu’on appelle « l’hyperdiffusion ». Seulement, les plateformes ne reversent pas l’argent gagné aux studios et créateurices, ce qui entraîne un déséquilibre économique dans la chaîne de valeur. Et si les plateformes permettent aux créateurices de proposer une offre payante pour leur podcasts, peu d’auditeurices sont enclin·es à payer pour – la fameuse « culture du gratuit a la peau dure.
Autre problème : produire un podcast coûte cher, et pour mener des projets d’envergure, les studios ont constamment besoin d’investissements. Le genre sonore a beau avoir été popularisé par sa facilité de création, les standards ont changé depuis sa mainstreamisation. Pour recueillir l’argent nécessaire à la création, au développement – ou à la survie, simplement – les studios organisent des levées de fonds… ou se font racheter. Toute odyssée vers un modèle économique stable semble être vouée à l’acquisition du studio.
Par ailleurs, l’économie du podcast se retrouve dans deux angles morts : celui de la régulation – car elle ne rentre pas dans les cases existantes – et celui du soutien à la création – il n’existe pas de fonds d’aide spécifique à la création sonore. Un obstacle de plus sur la quête d’un équilibre financier.
La vague d’acquisitions des studios français concerne des grands studios reconnus et des podcasts déjà millionnaires en écoutes, et laisse de côté les plus petits studios et podcasts de niche, qui devront se débrouiller pour survivre (économiquement) dans un secteur de géants toujours plus compétitif. On entre dans une phase de boule de neige économique, mais les podcasteur·rices n’ont pas dit leur dernier mot. Tandis que les GAFAN investissent, la « classe moyenne » du podcast continue de grandir et d’inventer, pour le plus grand bonheur de nos oreilles.