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Mehdi Bayad : la fiction sonore engagée

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Français installé en Belgique, Mehdi Bayad jongle entre sa position d’attaché de presse au Théâtre de la Toison d’Or et son activité d’auteur-réalisateur-podcasteur. C’est lui qui se cache derrière les fictions sonores Nuit Blanche, Rouge Vif, Bisou à demain (sélectionné au Paris Podcast Festival 2021) et Lumière Noire qui rejoint le catalogue LVDT ce mois-ci. Intrigué par son parcours et sa créativité, on s’est entretenu avec ce trentenaire à l’imagination débordante.  
Tu as commencé ta carrière de podcasteur par deux fictions dystopiques : Nuit Blanche et Lumière Noire. Qu’est-ce qui t’a motivé à faire du podcast de fiction ?​

C’est vrai que c’est un genre de niche. Je connais déjà peu de gens qui écoutent des podcasts, alors que c’est une tendance qui se répand, mais alors ceux qui écoutent de la fiction… il faut chercher sous des cailloux. Tout a commencé il y a deux ans avec un appel d’offre lancé par la RTBF pour une fiction audio. Je ne connaissais pas du tout ce genre, mais un ami producteur m’a proposé de leur envoyer un dossier. C’est finalement Doulange de Caroline Prévinaire qui a gagné. Cette expérience m’a donné envie d’essayer.

La fiction sonore invite à une autre écriture que j’ignorais. C’est un autre style, un autre rythme, tu peux te permettre plus de choses… J’ai alors créé une fiction sans argent : Nuit Blanche. J’ai tout enregistré avec mon téléphone portable en guise de micro… c’est dire si je ne savais pas du tout comment faire. J’ai « forcé » mes amis comédiens, ou même les non comédiens, à jouer dedans. Ça m’a tellement fait marrer que j’ai voulu en faire une autre un peu plus sérieusement. J’ai donc répondu en parallèle à des petits appels d’offre que j’ai obtenu.

Concernant Lumière Noire, quel a été le point de départ de cette fiction ?

J’ai commencé à l’écrire juste avant le confinement. Vers l’épisode 4, on s’est tous retrouvés bloqués, et je me suis dit que ça faisait sens par rapport à ce que j’étais en train d’essayer de raconter. J’étais un peu horrifié par les reculs démocratiques et les mesures liberticides qui étaient en train d’être prises.

Je voulais aussi montrer l’importance de la parole, mais démontrer que c’est parfois difficile d’agir seul. Une voix peut porter un message, quitte à se planter. C’est le fait d’essayer qui est intéressant. Dans toute révolte, l’important est de ne pas rester passif. Je ne suis pas de ceux qui se contentent du statu quo, je suis plutôt content lorsqu’il y a du mouvement dans la société. Et là, ça me semblait intéressant de mélanger tout ça dans une fiction. Plein de thématiques s’imbriquaient bien : le fait qu’on soit tous atomisés, enfermés dans des bulles, on communiquait très peu, on était isolés les uns des autres. Or, c’est un peu l’union qui fait la force. Cette siuation me semblait un peu folle et intéressante à questionner.

À l’époque, j’étais dans une colocation et les murs étaient en papier. Mes colocs ont donc eu en avant-première le podcast… même les versions ratées et celles où je crie tout seul comme un cinglé dans ma chambre. Je ne leur avais pas dit ce que j’étais en train de faire… donc ils ont du se poser des questions sur ma santé mentale (rires).

L’idée de Lumière Noire n’était donc pas seulement de "faire peur" aux auditeurs et auditrices, mais aussi de faire passer un message ?

Oui. Cependant, c’est bien qu’il y ait plusieurs niveaux de lecture et que les gens se l’approprient d’une autre façon et voient ça comme un divertissement. C’est intéressant quand un·e auteur·trice fait quelque chose pour la forme, mais quand c’est concilié avec le fond, c’est bien plus intéressant. Et moi, je m’ennuie si il n’y a pas un truc qui me parle en filigrane.

Comment s’est passé l’enregistrement ? Tu étais seul chez toi ?

À l’époque, j’étais dans une colocation et les murs étaient en papier. Mes colocs ont donc eu en avant-première le podcast… même les versions ratées et celles où je crie tout seul comme un cinglé dans ma chambre. Je ne leur avais pas dit ce que j’étais en train de faire… donc ils ont du se poser des questions sur ma santé mentale (rires).

Plus concrètement, j’ai enregistré la plupart des épisodes juste après les avoir écrit. Je ne me relisais pas, quitte à ce qu’il y ait des lourdeurs. Accessoirement, je buvais quelques bières tout en le faisant. J’étais très décontracté. Il n’y avait pas de conditions pro, comme ce que j’ai pu avoir ensuite sur d’autres fictions et qui parfois dénaturent un peu le contenu, font perdre en spontanéité. J’aime le côté rêche qui gratte l’oreille.

 

J’ai donc fait Lumière Noire un peu à l’arrache, et ça m’a fait du bien. Il y avait beaucoup d’improvisation. J’ai écrit à peu près 50% de ce que je raconte. Mes fenêtres étaient ouvertes, je buvais ma bière, je parlais, je regardais les voisins en face, je les saluais tout en enregistrant, et ça coulait tout seul. J’ai évidemment beaucoup coupé. Les rushs sont très bizarres. Heureusement que je suis le seul à les avoir écouté, car il y a parfois des digressions de cinglé (rires).

Ta dernière fiction s'appelle "Bisou à demain". Outre l’histoire que raconte ce podcast, voulais-tu également dénoncer autre chose ? Cela fait immédiatement penser au harcèlement.

Oui, tout à fait. J’ai beaucoup de colère pour ces immondes salopards qui harcèlent des gens, des femmes, et plus encore des femmes racisées. Des femmes qui ont simplement le malheur de parler. C’est parti de deux choses. D’abord du récit de Myriam Leroy qui s’est retrouvée dans une situation cauchemardesque. Ensuite, d’une interview que j’ai écoutée de Rokhaya Diallo qui expliquait avoir découvert un forum sur Internet dans lequel des gens réfléchissaient à comment la tuer. Ça m’a horrifié. Mon degrés de détestation pour ces gens et ces situations est à peu près équivalent à mon admiration pour ces femmes qui ne se laissent pas faire et ouvrent leur gueule pour défendre des combats qui leur parlent.

J’ai commencé la fiction là-dessus en voulant rendre le personnage masculin immonde. Au fil de l’histoire, je me suis rendu compte qu’il y avait un parallèle intéressant à faire entre cet anonymat qui fait sortir le monstre en certaines personnes et un fait d’actu. Il y a eu cette affaire de policier qui échangeait sur un groupe WhatsApp anonyme des propos misogynes et racistes. Je trouvais que le parallèle était intéressant entre la violence des mots, le fait de se croire tout permis, et cette détestation des voix dissidentes – féministes, qui se battent contre l’homophobie ou pour plus d’égalité sociale, etc. Je voulais donc faire un parallèle entre les deux, et je trouvais intéressant que la fiction fasse un glissement.

Mehdi Bayad_Photo2
Quelles sont tes astuces pour ne pas perdre l’auditeurice ? Un podcast de fiction demande beaucoup d'attention. Et dans une société où on est distrait par la moindre notification, ça peut vite être compliqué.

Le meilleur conseil, c’est de n’écouter aucun conseil. C’est la meilleure façon de ne pas faire comme les autres. Il y a évidemment des petits trucs et astuces comme casser le rythme. Ça permet de faire redescendre le récit et de reprendre l’auditeurice. On peut surprendre aussi, avec une phrase, une action, quelque chose d’inattendu ou d’inapproprié qui fait bifurquer l’histoire. Il y a aussi le fait de provoquer de l’empathie pour le personnage.

 

Lorsque j’écrivais Rouge Vif, je me suis moi-même fais chier à un moment donné. Il y avait un creux, et donc je l’ai dit. L’un de mes personnages le dit clairement, de cette façon, ce qui permet de ré-embarquer l’auditeurice avec toi, lui signaler que non, tu ne l’as pas oublié·e. Il y a un milliard de trucs, mais la meilleure façon c’est d’écrire pour soi, d’écrire un truc qui te fait marrer, qui te plairait à toi. Quand j’écrit, je ne pense surtout pas à la réception critique du texte. Je pense à l’auditeurice et je me demande ce que j’aimerais écouter à sa place. Et surtout, je me fais plaisir.

En août 2021, tu disais à Télérama : "Je suis en train de terminer une fiction que je cacherai sur Internet, et qu’il vous faudra retrouver…". Ça sort quand ?

Peut-être que c’est déjà sorti, on ne sait pas… Peut-être même que je cache des indices dans les différentes interviews que je fais depuis le début, à travers des mots ou des phrases qui sont placées mine de rien… Peut-être ! Je ne sais pas. L’idée d’une fiction cachée, c’est rigolo non ? Ça rend le truc tellement plus participatif. Je n’ai pas envie d’en dire trop sur cette fiction. Mais je m’amuse bien.

Quels sont tes podcasts préférés du moment, ceux qui t’inspirent ?

J’écoute beaucoup les fictions de France Culture et celles du Studio TJP que j’aime beaucoup. J’aime aussi le podcast YESSS (dans lequel des femmes expliquent comment elles ont réagi à des situations sexistes, NDLR). Deux fictions sonores m’ont particulièrement marquées : « L’incroyable expédition de Corentin Tréguier au Congo » d’Emmanuel Suarez, qui est le meilleur auteur de fiction du moment, et « L’Apocalypse est notre chance » de Sylvie Coquart-Morel et Sophie Maurer.

L’interview de Mehdi Bayad est disponible dans son intégralité en haut de l’article en version audio.

Et on te propose son podcast Lumière noire:

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