Après un double épisode sur la dictature fasciste au Portugal, qui a duré près d’un demi-siècle (1926-1974), on aborde dans ce double épisode la Révolution des oeillets, à nouveau avec l’historien Victor Pereira. Cette révolution est souvent réduite au 25 avril 1974, journée magnifique durant laquelle un soulèvement militaire organisé par des officiers intermédiaires – les fameux « capitaines d’avril » – fait tomber enfin la dictature. Ce récit dissimule non seulement que la révolution a commencé sur le terrain colonial (comme on l’avait montré dans les précédents épisodes sur la dictature), avec l’offensive politico-militaire des mouvements de libération nationale – en Angola puis en Guinée, au Cap-Vert et au Mozambique – qui se déploie à partir du début des années 1960 et qui va considérablement affaiblir le régime. Mais la focalisation sur le 25 avril 1974 manque également ce qui va se jouer dans les 19 mois qui vont suivre, à savoir l’intrusion des classes populaires – ouvriers et employés des villes mais aussi paysans pauvres des campagnes du Sud – sur la scène politique. Dès les semaines qui suivent la chute du régime émerge ainsi le plus grand mouvement gréviste de l’histoire du pays. Il signale d’emblée que le peuple portugais n’aspire pas à troquer une élite modernisatrice contre une caste réactionnaire. Ce qui est vite à l’ordre du jour à mesure que la révolution se développe, c’est à la fois la décolonisation immédiate, la conquête d’une démocratie réelle (ne se réduisant pas à l’élection de « bons » représentants), et la sortie de la misère pour l’ensemble des travailleurs·ses. À travers des pratiques de lutte radicale et auto-organisées, cela va progressivement conduire à la montée d’une conscience anticapitaliste et à une aspiration à construire un « pouvoir populaire ». Victor Pereira a publié notamment le livre « C’est le peuple qui commande. La Révolution des Œillets : 1974-1976 », aux éditions du Détour en 2023. Épisode enregistré en octobre 2024. Montage : Aurélien Thome.
