On dit du podcast qu’il explore le registre de l’intime. Un tel écrin ouaté semble propice aux confessions et… à la bravade des tabous. Thune prend ce mantra pour argent comptant : au fait, combien ça gagne un écrivain, une flic ou même une prof de yoga ?
Casting clinquant
Laurence Vély et Anna Borrel sont journalistes. N’en déplaisent aux détracteurs de la presse, leur métier consiste à poser des questions. Dans Thune, elles osent parler « cash », dans tous les sens du terme, jusqu’à interroger les privilèges. Sans les juger, mais en les analysant factuellement, presque comme des sociologues.
Au gré de dizaines d’épisodes, elles dévoilent une galerie de portraits diversifiés sous la lorgnette du compte en banque. Peu importe leur prestige : cuillères d’inox et d’argent se voient servies le même cocktail de bienveillance et de transparence. Un jeu d’équilibre entre Jean-Baptiste, gros poisson de la tech, et Sophia, qui se livre sur les mecs qui l’ont ruinée.
L’intérêt des podcasteuses, qui confectionnent les épisodes en alternance, dépasse évidemment la curiosité, basique mais pas si malsaine, du « combien gagne telle profession ? ». À travers Thune, tu accèdes à des rouages et tracas auxquels tu n’avais jamais songé. Les barrières hiérarchiques dans le milieu policier, évidemment plus ardues à franchir pour les femmes. Une styliste drapée de fringues Gucci, mais qui galère à se payer un fast food. Ou encore la démystification du pétage de câble des gagnants du Loto, à travers le récit du serein Jean-Marc, qui a empoché le million à l’aube de la retraite.
Socio, mais pas intello
Quelle que soit la thématique et le secteur, qui varient énormément d’une semaine à l’autre (drogue, vie religieuse, publicité, salons littéraires…), le dispositif demeure identique : une discussion, posée mais à bâtons rompus, entre l’une des deux journalistes et l’invité·e. Les questions d’entame transpirent un peu la sociologie à la Bourdieu : où as-tu grandi ? Quels métiers faisaient tes parents ? Quel est ton parcours scolaire ? Mais Laurence Vély et Anna Borrel n’ont jamais la prétention d’ériger ces caractéristiques en causalités du rapport à l’argent. En fait, elles ne prennent jamais de hauteur. Le ton demeure au niveau de l’interlocuteur·trice, au rythme de franches coupes dans le montage pour conserver le rythme et avancer par chapitres. On ne voit jamais l’épisode défiler, qu’il dure 30 minutes ou une heure.
S’il aborde aussi la vie quotidienne, sentimentale ou sociale, l’argent reste toujours au cœur de l’échange : « Combien coûtait le loyer de ta salle de Yoga à Paris ? Ah, tu ne veux pas me dire, d’accord ». Cette explicitation des tabous qui résistent, quand les interviewés·es rechignent à balancer un chiffre malgré leur consentement à se livrer au micro de Thune, fait toute la force du podcast : elle rappelle à quel point, même quand quelqu’un jure n’avoir aucun mal à parler de fric, le malaise se terre en filigrane et peut encore survenir à tout moment.
Fric polémique
Enfin, le duo de journalistes cherche parfois à s’éloigner des enjeux du quotidien pour prendre un peu de hauteur. Recueillir le point de vue de chercheurs·euses dont l’argent ne constitue pas l’objet principal leur permet de multiplier les prismes : Comment les enfants réagissent-ils aux problèmes pécuniers de leurs parents ? Pourquoi les personnes dites « précaires » s’achètent tout de même un Iphone ?
Ces tourments, un poil provoc’, constituent des portes d’entrée (des « extraits » d’une ou deux minutes sont proposés chaque semaine) vers des entretiens fleuves détaillant la place du pognon dans nos vies. En les écoutant, tu comprends à quel point cette ressource, que tu le veuilles ou non, demeure centrale, même lorsqu’on a prononcé un pieux vœu de pauvreté. Ce que les animatrices du podcast ne manquent pas de souligner, rappelant chaque semaine l’existence de leur cagnotte Tipeee pour… donner un peu de thunes à Thune.