LA VOIX DANS TA TÊTE · Le mag du podcast

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

“Vous êtes bien chez Sophie” : la vie après le bip

Il y a des lubies incompréhensibles dont éclosent des concepts renversants. La journaliste Sophie Simonot au eu l’idée saugrenue de garder toutes ses cassettes de répondeur téléphonique. Car oui, avant la boîte vocale du smartphone, on recueillait les messages en différé grâce à un enregistreur à bande magnétique. Un objet obsolète dont tout le monde se fout aujourd’hui. Sauf Sophie.

Parler après le bip, on connaît. On préfère les SMS, voire les vocaux sur WhatsApp, mais on voit le principe du message laissé en cas de sonnerie dans le vide. Mais il faut se figurer une époque où le téléphone fixe avait pour seule alternative les cabines téléphoniques. Le répondeur devient alors symbole de libération, puisqu’il autorise à batifoler dans les bars sans courir le risque de louper un appel important. L’interlocuteur enregistre le motif de sa sollicitation sur une cassette (!), on l’écoutera voire le rappellera plus tard. Une révolution. Mon répondeur était mon plus fidèle compagnon, se souvient la journaliste Sophie Simonot. Il était le remède à mes névroses, le moyen de garder une trace du temps qui passe”.

Bande à part

Alors, la jeune parisienne a archivé ce que tout le monde aurait jeté : les messages laissés sur son Panasonic crachotant. À travers ces reliques auditives, au fil de six épisodes, elle raconte ses années 1990, sa sexualité revancharde, sa carrière foutraque et bien plus encore. Uniquement avec une voix-off et des bouts de missives vintages, ankylosées par les parasites. Le voyage dans le temps est immédiat.

À travers ses choix de montage, Simonot crée de multiples personnages qui cherchent à joindre Sophie, la surnommant “schtroumpfette”, “clochette” ou encore “glaçon qui suce” – le podcast y va franco dans sa vulgarité (José avait un accent à se branler contre un chambranle en bois”), il faut adhérer au style. Des mecs, principalement. Du suave José, bossant à Radio France, au plus sage Jérôme, sans oublier “Pan Pan”, le gros dur. Ces jalons masculins retracent les questionnements féministes de la narratrice, qui hésite perpétuellement entre fougue et retenue, volupté et inaccessibilité. Comme les paroles, ces bellâtres éphémères finissent toujours par s’envoler. Seule reste Sophie, ancrée dans ses convictions et son autonomie.

Voix toute tracée

Ces amourettes s’opèrent en parallèle d’une carrière épanouissante. Car Sophie Simonot se découvre une vocation radiophonique, presque par hasard, avec pour mentor l’illustre Daniel Mermet, fondateur de l’émission culte “Là-bas si j’y suis” (d’abord diffusée sur France Inter, elle deviendra un média indépendant sur abonnement). Résolument anar’ mais aussi très exigeant, Mermet réveille en Sophie le goût du reportage, de l’humain, à coups d’heures d’entretien à récolter les plus grandes peurs des auditeurs·trices. Avant que, plus tard, elle ne participe à la création de la radio “Le Mouv’”, dans un joyeux bazar éditorial.

Le podcast permet ainsi de se plonger dans une autre ère du son, dans laquelle l’analogique s’imposait. Un règne pétri de contraintes, mais aussi organique (le montage audio se faisait aux ciseaux !) À ce titre, le répondeur fonctionne comme un filtre inversé : voix, émissions, chansons d’époque (Lavilliers, Manu Chao…) : tout ce qui s’écoute se voit encrassé par la bande grumeleuse de la fragile cassette. Garantie d’authenticité, le parasite devient repère temporel, au service d’une narration résolument moderne… et drôle.

Du tac au tact

Vous êtes bien chez Sophie mérite incontestablement son prix “Originalité et humour”, décerné lors de l’édition 2023 du Festival Longueur d’ondes. La narratrice ne s’y prend jamais au sérieux. Elle ne fait que déconstruire ses croyances, ses fantasmes (qu’ils soient sexuels ou idéalisent la vie de famille) et sa fierté (”Avec José, je n’ai pas mis de capote, j’ai rêvé de mariage, de tout plaquer pour le suivre au Brésil. Mon idéal féministe avait du plomb dans l’aile”).

En tête-à-tête avec le répondeur, les interlocuteurs vident leur sac. On écoute leur passion, leurs leçons de morale (”Tu devrais arrêter de prendre des acides avec tes potes, les messages deviennent incompréhensibles”), leur ras-le-bol destiné à une Sophie injoignable car absorbée par les sorties et le travail (”Réponds, je sais que tu es là !”, éructe un amant, non sans théâtralité). Cette mise à nu par les autres rend hilare, car elle s’opérait sans filet : qui aurait cru que toutes ces conneries seraient archivées et rendues publiques ? Pas Nino, le fils que Sophie a eu avec Jérôme, qui ne voit plus l’utilité d’une telle machine. Par dépit, il a tout de même enregistré son message de boîte vocale : ”Plus personne n’utilise ce truc depuis 2013. Laissez-moi un SMS, ça ira plus vite”. Le bip sonore, une affaire de générations.

Cet article t’a plu ? Tu veux rejoindre la communauté et découvrir chaque mois nos quatre podcasts “coup de cœur” ? Inscris-toi à notre newsletter !
↓ ARTICLES ↓

Ce site utilise des cookies pour fonctionner correctement.
Voir la politique de confidentialité .

Abonne-toi à la newsletter pour
recevoir les recos du mois :