Créatrice de podcasts et amoureuse du son, Ambre Ciselet a rassemblé en huit épisodes le témoignage bouleversant de l’ex-criminel Serge Thiry. Son podcast Après les murs (qu’on a adoré) est aujourd’hui en lice pour le Prix du public au Brussels Podcast Festival. On l’a rencontrée pour qu’elle nous raconte le processus de création de ce podcast absolument captivant.
Comment est né Après les murs ?
L’un de mes amis a failli aller en prison quand il était ado. Quand j’ai imaginé la possibilité qu’il aille en prison, j’étais complètement choquée par la violence que ça impliquait. J’avais 20 ans à l’époque (elle en a aujourd’hui 28, NDLR.) Depuis, tous mes podcasts parlent de ça, je n’ai pas switché de sujet : je suis restée sur la prison. Cet ami a rencontré Serge qui l’a aidé. Mon ami l’a pris un peu comme modèle. Souvent, les gens qui aident les personnes tombées dans la délinquance n’ont pas forcément le même profil. Alors que Serge, quand il leur parle, il sait très bien ce qu’ils vivent. Il est passé par la prison et il peut vraiment leur dire : « La prison c’est de la merde ». C’est comme ça que j’ai rencontré Serge.
J’ai d’abord créé une mini capsule de six minutes sur Serge (27 ans entre les murs) que j’avais faite spécialement pour le premier Brussels Podcast Festival. Je l’avais proposée au concours organisé par le BPF et la RTBF, et j’avais gagné. J’avais donc un pied dans la porte de la RTBF pour ensuite faire un podcast avec eux et Après les murs est né.
A-t-il tout de suite accepté d’enregistrer quelque chose avec toi ? De raconter sa vie dans un podcast ?
Oui. C’est presque son métier de faire ça, puisqu’il a son ASBL (Extra Muros, NDLR.) avec laquelle il fait ça à longueur de journée : il va dans les écoles et il raconte sa vie. Il était donc hyper partant.
Mes podcasts s’appellent "Murmur", "27 ans entre les murs", "Après les murs". J’ai un bug avec le mot “mur”. Je ne sais pas pourquoi.
Ambre Ciselet
Dans le podcast, on entend uniquement Serge parler, sans intervention d’une autre personne. C’était ton intention de départ ou c’est ce qui est ressorti après l’avoir interviewé ?
Contrairement à mes autres podcasts, j’ai tout préparé en amont. J’ai vraiment changé de processus de création, et ça a clairement payé. Le projet a été beaucoup plus facile à gérer de A à Z. Notamment grâce à un livre qui a changé ma vie : L’anatomie du scénario de John Trubi. Ce bouquin m’a appris que les codes de la dramaturgie sont des outils. Être auteur·trice, réalisateur·trice, c’est la même chose que dans les autres métiers : il faut des outils, une méthode de travail, un processus. Comprendre ça m’a permis de construire un projet sur base d’un plan bien défini.
J’ai aussi compris que ce n’est pas parce que je fais du témoignage ou du documentaire, que je dois arriver, recevoir, et ensuite essayer de comprendre ce que j’ai envie de faire avec la matière recueillie. Je connaissais l’histoire de Serge et je me suis préparée : j’ai lu le livre qu’il a fait écrire sur sa vie (Extra-muros : Les métamorphoses d’un voyou) et il y a des heures et des heures d’entretien préparatoire. Je suis venue avec ce que je voulais faire, j’ai demandé, il m’a donné et c’était fait. Et c’est comme ça que je veux travailler pour le restant de mes jours (rires).
Est-ce qu’il y a quand même des choses qui t’ont surprise lors de l’enregistrement ? Des choses qu’il a raconté que tu n’avais pas prévues dans ton plan ?
Il y avait des moments où ce que lui ou le livre m’avaient raconté auparavant n’étaient pas tout à fait justes par rapport à ses propres souvenirs. Du coup, il y avait des moments où j’attendais une réponse bien précise de sa part, mais lui me disait autre chose. Ça, c’était plus difficile à gérer, mais il suffisait alors de discuter pour comprendre ce qui s’était vraiment passé. S’il ne se souvenait plus, on retirait le passage. Mais sinon, plutôt que de me surprendre, ces moments nourrissaient la structure que j’avais déjà écrite.
Même s’il a l’habitude de raconter son histoire, as-tu l’impression qu’il s’est davantage livré dans ton podcast que dans les salles de classe ?
Oui ! Je pense que c’est assez différent. Quand j’écoute, je sens les moments où Serge est devant les étudiants et délivre un discours assez bien rodé, et puis les autres moments où pas du tout. Je pense qu’il y en a beaucoup qu’on n’aurait pas pu avoir autrement. Même à la télévision, ça n’aurait pas été pareil. Il y a des moments où il pleure. Je ne pense pas qu’il aurait parlé de la mort de son père en dehors de ce podcast.
A-t-il écouté le podcast ?
Je ne pense pas. Le média podcast est assez nouveau pour lui. Il a 68 ans. Ce qui est génial, c’est que des gens lui envoient des mails après avoir écouté le podcast pour lui dire qu’ils ont été touché par son histoire. Des écoles et des IPPJ le contactent pour le faire venir témoigner dans leurs établissements, et ça c’est super. Il y a un retour direct. Serge a besoin d’être reconnu, entendu, vu et Après les murs y participe. Je vois qu’il est content, excité, fier que des gens parlent du podcast. On a notamment été invité dans Tendances Première. Et donc ça nourrit son projet à lui aussi.
J’ai eu ce "choc du son" où je me suis dit que le son était
super puissant pour raconter des histoires.Ambre Ciselet
Comment es-tu arrivée dans le monde du podcast ?
J’ai eu une révélation mystique (rires) quand j’étais à l’IHECS. Mon prof de son, Sébastien Schmitz, nous a fait écouter Crackopolis. J’ai eu ce « choc du son » où je me suis dit que le son était super puissant pour raconter des histoires. Tous les podcasts que j’ai fait sont inspirés de cette idée de témoignage et d’intimité. J’avais trouvé ça trop génial. Ensuite, j’étais dans ma voiture, et je suis tombée sur une radio associative qui diffusait des sons. C’était vraiment du pur son design, un truc hyper perché, mais qui m’a transporté. Et je me suis dit : « Je veux faire du podcast avec du son design hyper perché ».